Ségolène Le Mouillour


 

Abstract
It is undoubtedly in the schools for Maria Montessori that the world of tomorrow is being built. On this point, the ideas of the Italian pedagogue are more relevant than ever. Perhaps before the others, Maria Montessori focused on a triple crisis that the world was going through at the end of the 20th century. That of the relationships of men among themselves, that of societies among themselves and finally, that of men in their environment. These three crises are interdependent for the teacher. Are we really out of it? Edgar Morin (1921) several years later, thinker of complexity, speaks for his part of “civilizing the earth”, the idea is the same except that the impact of human action on the planet is tenfold. For Morin (2004), man has conquered the land, when will he be taught a sense of responsibility? Our contemporary societies are characterized by speed, management of emergencies, thinking of controlling time with today’s digital tools, people are becoming more and more dependent on them. Education policies seem to devote more time and energy to reacting to events rather than preparing for a future which is becoming increasingly difficult to anticipate. With the entry into the Anthropocene, certain problematic foundations of our civilization are questioned. For Maria Montessori, far from digital tools, here the concern was already to challenge man on the meaning of his actions, his link with the world, and on the quest for human values ​​such as Peace. Can his educational philosophy help us today to think about this new universal responsibility which is imposed on us?
Keywords: Education, Digital age, Sensitive intelligence, Peace, Humanity

 

1. Introduction

«Sans que nous nous en apercevions, un nouvel humain est né, pendant un intervalle bref, celui qui nous sépare des années 1970. Il ou elle n’a plus le même corps, la même espérance de vie, ne communique plus de la même façon, ne perçoit plus le même monde, ne vit plus dans la même nature, n’habite plus le même espace», déclare le professeur Michel Serres dans son essai philosophique Petite Poucette en 2012. Face à ce constat, c’est assurément dans les écoles pour la célèbre pédagogue italienne Maria Montessori (1870-1952) que doit se construire le monde de demain. Sur ce point, sa philosophie de l’éducation semble être plus que jamais d’actualité. En effet, peut-être avant les autres ce célèbre médecin éducateur, Montessori, a mis l’accent sur une triple crise que le monde traverse depuis la fin du XXème siècle. Une triple crise, une mutation qui est particulièrement au cœur de nos débats éducatifs et politiques aujourd’hui. Une première crise, celle des rapports des hommes entre eux. Une seconde, celle des sociétés entre elles et enfin une troisième, celle des hommes dans leur environnement. Ces trois crises étaient, déjà qualifiées en son temps, interdépendantes par la pédagogue. Mais en sommes-nous réellement sortis ? Edgar Morin né en 1921, sociologue et philosophe, penseur de la complexité, défend encore aujourd’hui de son côté, un objectif essentiel, celui de « civiliser la terre » (Morin, 2004). Les fondements philosophiques et anthropologiques entre ces deux figures de l’humanité et de l’éducation sont très proches. Depuis Montessori, le temps s’est écoulé et en conséquence l’impact de l’action humaine sur la planète s’est décuplé. Selon le philosophe Morin, l’homme a conquis la terre sans qu’il ait pu être sensibilisé à sa responsabilité sur cette terre. Dans une interview qu’il consacre au journal Ouest France du 19 juillet 2020, le philosophe déclare « Je suis conscient depuis longtemps que la mondialisation a créé un destin commun pour tous les êtres humains, mais aussi des périls communs comme le nucléaire, les crises environnementales et sanitaires, ou encore l’instabilité économique. Des processus qui entrainent des fanatismes de toutes sortes. On découvre ainsi que, tout en étant interdépendants, il n’y a que peu de solidarité entre les États ». Pour Montessori, la préoccupation était déjà d’interpeler l’homme sur le sens de ses actions, sur son lien avec l’environnement, sur sa présence à soi et aux autres, et sur la quête de valeurs humaines tel que la paix.

À ce titre, si nous regardons aujourd’hui de plus près les résultats des recherches actuelles sur le développement du cerveau humain et leur prise en compte dans les apprentissages, nous pouvons prendre conscience que Montessori a déjà fait état de recherches sur ce point. La pédagogue a en effet au travers de ses recherches, posé son regard sur ce que nous déclarons, reconnaissons peut-être un peu plus aujourd’hui, à savoir le développement de l’intelligence sensible chez l’enfant. Sans l’usage de technologies complexes qui prennent par exemple, appui sur l’imagerie résonnance magnétique, Montessori a pu observer et constater avec une certaine sensibilité et intelligence, le développement des enfants qui vaquaient à leurs activités sous son regard bienveillant.  Aujourd’hui à l’ère du digital, nous constatons toutes et tous, enseignants, éducateurs, qu’une grande majorité des enfants, et ce de plus en plus tôt, sont plus que jamais connectés sur des outils numériques. Ces enfants branchés sur des jouets connectés pour lesquels nous ventons les vertus d’une bonne préparation à l’avenir ainsi qu’un meilleur développement de leur intelligence, tombent peut-être comme leurs éducateurs dans une logique marchande, de ces nouveaux produits qui pourrait se résumer « au toujours plus de ». Ces usages surdimensionnés des technologies de l’information et de la communication confirment une tendance à l’évanouissement de la mise à l’épreuve que constitue en principe toute véritable rencontre avec Autrui. Nous sommes reliés et hyperconnectés mais toujours susceptibles de pouvoir nous délier de certains contrats moraux (Z. Baumann, 2007).  Pour Morin, dans cet article du journal Ouest France du 19 juillet 2020, ajoute « l’informatique, c’est comme la langue des hommes, elle offre une forme de liberté. Les réseaux sociaux permettent beaucoup d’inventivité, de la folie, du délire, de la méchanceté et de la grossièreté. Ce sont tous les avantages et inconvénients de la liberté ». Dès lors, si nous permettons à nos enfants, à nos élèves, à l’ère du digital, d’être élevés et éduqués par des machines (Love, Sikorski, 2000), nous prenons le risque qu’ils grandissent sans humanité. Pour Morin, « l’assemblage des différentes pièces d’un Airbus peut difficilement se faire à travers un écran d’ordinateur », n’est-ce pas la même chose pour l’éducation et la formation de l’homme ? La crise sanitaire Covid 19 que nous traversons actuellement montre combien l’enseignement à distance rencontre ses limites dont l’absence notamment de liens sociaux, d’une vie communautaire in situ pour les étudiants. Un besoin d’appartenance à un groupe de référence portant des valeurs communes. Rappelons ici, comme a pu l’indiquer Montessori, le potentiel de paix dans le monde jaillit directement de notre propre humanité.

Aujourd’hui (Montessori, 1949), nous disposons d’une organisation des choses mais pas d’une organisation des hommes ou de l’humanité. Nous y voilà, l’humanité doit pouvoir se réorganiser pour éviter l’isolement des hommes, développer leur vie spirituelle et organiser cette humanité par la paix et une prise de conscience collective. C’est ici la tâche assignée à l’éducation, faire confiance en la puissance de la nature humaine, dès l’enfance, développer des compétences sociales et émotionnelles dans un contexte devenu numérique, s’ouvrir ainsi à la civilisation tout en œuvrant pour l’humanité (Montessori, 2003).

En prenant appui sur des écrits de Montessori complétés par des entretiens conduits auprès d’enseignantes d’écoles maternelles et primaires actuellement en pleine bascule Montessori dans leur pratique pédagogique, sur des recherches publiées sur la question du rapport au savoir à l’ère du numérique ou encore sur les problématiques soulevées par l’anthropocène, nous tenterons de répondre à la question suivante : Comment à l’ère du numérique, en tant qu’éducateur Montessorien pouvons – nous aider l’enfant à rester connecté à lui-même, aux autres et à son environnement au service d’une humanité retrouvée ?

 

2. Le numerique dans une ambiance montessori

Le développement des technologies de l’information et de la communication, celui des outils mobiles, l’essor du numérique et des réseaux sociaux ont accéléré les transformations au sein de notre société. Nous sommes entrés en anthropocène, dans une ère digitale qui affecte les écosystèmes et fragilise le tissu solidaire du vivant, dont les répercutions touchent la vie humaine en société (Wallenhorst, 2020). Face à cette place centrale aujourd’hui des outils numériques, la philosophie de l’éducation et de la formation de l’homme, le matériel d’apprentissage et la méthode pédagogique, développés par Montessori en 1907 dans les très célèbres Casa Dei Bambini de Rome, continuent de prospérer et d’interpeler aujourd’hui. La technologie ajoutant une nouvelle perspective complexe, des questionnements ou encore des mises en tension à l’approche Montessori de l’apprentissage et du développement humain ont pu être soulevés.

Sur ce chemin, en 2017, le Ministre de l’Éducation Nationale, Monsieur Jean-Michel Blanquer, dans sa circulaire de rentrée, a encouragé les enseignants à accompagner ces changements plutôt qu’à les subir, à développer de nouvelles stratégies pour instruire, éduquer et préparer tous les élèves à devenir des citoyens libres de la société numérique, à poursuivre leur formation et à progresser tout au long de leur vie dans un monde incertain, complexe et hyperconnecté.  À l’ère du numérique à l’école, l’importance d’un environnement préparé pour Maria Montessori nous conduit à mettre tout d’abord en avant, la nécessité d’une formation minutieuse des enseignants aux outils numériques ainsi qu’à leurs usages, afin qu’ils puissent mettre en œuvre avec succès la technologie informatique dans leur salle de classe Montessori. Sur ce point, rares sont les montessoriens interrogés qui défendent aujourd’hui la nécessité de l’intégration d’ordinateurs dans leur salle de classe. Le bon développement de l’enfant de 3 à 4 ans est considéré comme n’étant pas compatible avec l’utilisation trop hâtive des outils numériques. Au cours de la petite enfance, l’enfant est en quête de concret, de manipulation, de vie sociale. Le numérique ne peut en aucun cas apporté, pour ces praticiens, cette part de vie nécessaire aux apprentissages premiers. Les outils numériques peuvent pour ces montessoriens donner l’illusion d’agir avec facilité mais à l’inverse ils augmentent sa dépendance et entravent de façon irrémédiable les capacités propres de l’enfant. En réponse à ces montessoriens interrogés, rappelons ici que Montessori a défendu dans sa philosophie de l’éducation, l’importance du respect des périodes sensibles dans le développement des apprentissages chez l’enfant. Des apprentissages pour lesquels il convient pour la pédagogue de pouvoir proposer en amont une ambiance éducatrice, un environnement adapté aux élèves au sein de la classe. Sur ce point, Love et Sikorski soutiennent pourtant l’idée que la célèbre pédagogue aurait probablement adoptée les outils numériques dans son ambiance éducatrice. Elle aurait en revanche probablement questionné le moment le plus adapté pour présenter ces outils à l’enfant, ainsi que le lieu le plus approprié pour installer ces outils dans un environnement préparé par les soins de la maîtresse au service des apprentissages des enfants. Montessori aurait surtout tenté de comprendre comment les enfants devraient être initiés à ces expériences digitales plutôt que de savoir s’ils devraient être ou non exposés à de tels outils. Les préoccupations des montessoriens interrogés en matière de technologie éducative s’expriment dans un premier temps, par l’insécurité lorsqu’ils rencontrent l’inconnu, et dans un second temps, par des préoccupations quant à la dilution de la pureté de la philosophie et de la méthode Montessori. Ils suggèrent aujourd’hui que les logiciels informatiques peuvent compléter le programme Montessori et permettre à l’enfant de passer à un niveau plus abstrait mais seulement après avoir maîtrisé dans un premier temps le matériel Montessori. Ces logiciels informatiques peuvent être proposés à l’enfant dans cet environnement préparé dans l’extension de leçons préalables. Pour Love et Sikorski, pionnière en matière d’éducation, avec sa méthode naturelle, Montessori, sans aucun doute, intègrerait ces nouvelles technologies dans la casa dei bambini, avec pertinence, sagesse, en gardant bien à l’esprit que l’objectif au début de l’éducation de l’enfance est de cultiver le désir naturel d’apprendre chez l’enfant. Grâce à ces nouvelles technologies (Le Mouillour, 2021), à ces nouvelles pratiques en matière de pédagogie, ces nouveaux contenus d’apprentissage, nous pouvons faire évoluer le point de vue de l’ensemble du corps enseignant sur l’usage et les fonctions de ces outils numériques dans le cadre d’apprentissages scolaires. Développer chez ces enseignants de nouvelles compétences numériques et ainsi dans le même mouvement, les aider à repérer comment l’utilisation de ces nouveaux objets connectés en classe peuvent en retour faire évoluer le regard que peuvent poser les élèves sur leurs enseignants. Repenser mutuellement la relation éducative au travers de nouvelles modalités d’apprentissage. C’est par l’interaction engagée notamment à travers l’usage de ces outils que l’enfant peut ironiquement responsabiliser l’enseignant. Ce dernier a la responsabilité de le préparer pour un monde dont il héritera un jour. La technologie numérique peut donc être qualifiée comme étant une expérience nécessaire qui doit toutefois être repensée, modélisée pour trouver sa place dans une ambiance Montessori.

En réponse à Postman (1992), pour rester fidèle au paradigme Montessori, ajoutons ici que ces nouveaux matériels numériques doivent présenter des caractéristiques éducatives et tendre vers des objectifs précis. En effet, comme le matériel Montessori « classique », ces nouveaux objets connectés doivent répondre à plusieurs caractéristiques bien spécifiques. L’outil doit présenter une séquence d’apprentissage ou un ordre discernable de telle sorte qu’ils puissent apporter du sens à l’enfant et étendre la pensée de ce dernier dans une progression logique. L’outil doit fournir un niveau optimal de stimulation qui engage l’enfant, maintient l’intérêt et la concentration, mais ne submerge pas ou ne se contente pas de divertir. L’outil doit être esthétiquement agréable et beau pour les sens de l’enfant, ainsi que sain, paisible et non violent. Le contenu du programme informatique proposé par l’outil doit être significatif et utile à l’enfant. Il conviendra donc d’en déterminer le moment de sa présentation à l’enfant. L’outil doit être plus axé sur les processus et promouvoir l’exploration, la découverte et l’apprentissage, plutôt qu’être axé sur les produits mettant ainsi l’accent sur la réussite ou l’incapacité à atteindre des résultats. Cet outil doit contenir un bon contrôle de l’erreur, une certaine flexibilité qui permettra à l’enfant d’être auto-dirigé, auto-rythmé et auto-corrigé. A cela s’y ajoute la capacité de l’outil, de promouvoir l’exploration indépendante par l’enfant après la présentation, l’instruction initiale et l’orientation proposées par l’enseignant. L’outil présente plusieurs niveaux de difficulté intégrés en lui. Il doit promouvoir la créativité de l’enfant plutôt que de fournir des informations et les stimuli qui laissent au fond peu de place à l’imaginaire et à l’émergence des idées de l’enfant. L’outil doit mettre l’accent sur la motivation interne plutôt que de promouvoir une dépendance à l’égard du renforcement externe qui peut se traduire par des sonorités, des images, des commentaires positifs et négatifs, interactifs lorsque l’enfant manipule et investit l’outil. Enfin, cet outil complète les apprentissages qui s’engagent, se déroulent dans les autres espaces mis à la disposition de l’élève. Il s’intègre donc dans un environnement riche et préparé.

Au-delà des caractéristiques que doit présenter l’outil numérique dans la pratique montessorienne, pour Maria Montessori en 1949, les hommes que nous éduquerons seront capables d’utiliser leurs pouvoirs divins pour dépasser ceux qui auront fait le choix de confier leur sort aux machines. Il nous faut donc veiller à un juste équilibre, à un bon dosage de la place que nous concédons en classe à ces outils connectés. En effet, ce qui est indispensable à l’enfant pour la célèbre pédagogue, c’est peut-être avant tout, la foi en la grandeur et la supériorité de l’homme. Puisque les hommes ont réussi à maîtriser les énergies cosmiques traversant l’atmosphère, ils seront bien capables de finir par comprendre que le feu du génie, la perspicacité de l’intelligence et la lumière de la conscience sont également des énergies qui doivent être organisées, régulées, valorisées et utilisées pour une finalité, celle du progrès de la vie sociale. La tolérance est cette capacité à reconnaître l’autre comme mon semblable, digne des mêmes égards, et en même temps, radicalement différent, digne du même respect. Cette question se pose à l’échelle des rapports entre les différentes civilisations et religions. Les enfants qui vivront, percevront le pouvoir de la médiation entre leurs camarades à l’école, et apprendront demain à devenir médiateurs entre les peuples. Montessori était engagée dans la dynamique par l’éducation de la construction d’une alliance pour un monde responsable et solidaire. Il appartient bien pour elle, à son époque, et encore davantage aujourd’hui, aux citoyens de la planète de s’unir, de se mettre en mouvement pour faire face aux défis de notre humanité. Les élèves de France ont ainsi été appelés par le Ministre de l’Éducation Nationale depuis 2015 à devenir des citoyens de France, de l’Europe et du Monde. De l’école au lycée, le parcours citoyen s’adresse à des citoyens en devenir qui prennent conscience de leurs droits, de leurs devoirs, de leurs responsabilités. Adossé aux enseignements, en particulier l’enseignement moral et civique, l’éducation aux médias et à l’information, à l’usage des outils numériques, concourent à la transmission des valeurs et principes de la République en abordant les grands champs de l’éducation à la citoyenneté et du vivre ensemble.

 

3. Faire oeuvre d’humanité

Parler de responsabilité, de solidarité, nous renvoie tout de suite aux systèmes de valeurs, aux représentations, aux comportements humains. Comment apprendre la coopération et non la compétition? L’homme n’est-il pas animé par la domination, l’irresponsabilité, la simplification, la conquête, le toujours plus, en particulier avec l’usage inconsidéré, non maîtrisé des outils connectés aujourd’hui ? Comment transformer les rapports entre l’homme et son environnement ?  La nature humaine peut-elle encore changer ? Toutes ces questions renvoient à la question centrale de l’éducation soulevée par Montessori ou encore d’autres pédagogues du mouvement des écoles nouvelles. C’est par l’éducation que nous allons reconstruire le monde de demain en reliant les hommes entre eux, les sociétés entre elles et enfin, les hommes à l’environnement.

Nous ne pouvons espérer bâtir des rapports harmonieux entre les hommes et leur environnement sans construire dans la même temporalité l’harmonie des rapports entre les hommes eux-mêmes. À l’échelle de l’école, comment les enfants pourraient-ils adopter une attitude de respect à l’égard de l’environnement naturel s’ils n’adoptent pas la même attitude à l’égard de leurs propres camarades ? Maria Montessori y répond par son approche scientifique, expérimentale du monde, de la pédagogie. L’enfant doit pouvoir tâtonner, découvrir, faire des aller – retour entre ses actions et sa réflexion. Elle recommandait aux éducateurs de donner à l’enfant un travail à faire avec ses mains afin qu’ils puissent travailler avec sa tête. Pour Morin (2004) lorsqu’un système se montre incapable de traiter ses problèmes vitaux, alors, soit il se désintègre, soit il se transforme en un méta-système capable, lui, de traiter ses problèmes. Il est urgent aujourd’hui de permettre à l’enfant à l’école d’appréhender le sens de sa responsabilité. Pour Montessori, encore quelque peu distante de cette ère digitale que nous traversons, il était prioritaire déjà d’interpeler l’homme sur le sens de ses actions, son lien avec le monde et sur la quête des valeurs humaines tel que la paix. Cette capacité personnelle d’être en paix, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, d’être présent intégralement à soi, ne se développe pas de façon spontanée ou automatique à un âge donné. Cette capacité est engendrée dans le cerveau par des expériences de vie commençant avant même la naissance, et elle est ainsi fortement dépendante du milieu et des valeurs qui entourent l’enfant.

En 1932, Montessori, à l’occasion d’un discours prononcé devant l’Office International de l’Éducation à Genève, qui, à cette période, n’était que le centre du mouvement européen pour la paix, elle déclare que l’établissement d’une paix durable est l’objet même de l’éducation, et qu’en conséquence, la responsabilité politique n’est que de nous préserver de la guerre. Le mot paix, annonce ici l’idée d’une réforme sociale constructive au service de tous. La société humaine pour Maria Montessori, ne prépare pas suffisamment l’homme à sa vie de citoyen. Par les méthodes éducatives proposées jusqu’alors, les enfants sont préparés, habitués à satisfaire uniquement leurs besoins immédiats. Comment leur permettre de prendre conscience de la nécessité de définir et de partager des objectifs et des valeurs collectives tout particulièrement à l’ère du numérique aujourd’hui ?

Le rapport de l’Inspection Générale de l’Éducation Nationale de mai 2017, annonçait à ce propos, faire du numérique une opportunité pour faire évoluer la forme scolaire et améliorer la qualité et l’équité de notre système éducatif. À cette affirmation, l’un des montessoriens rencontrés dans le cadre de la recherche, déclare ne pas y croire du tout, rappelant ici que Maria Montessori avait elle-même annoncé que l’outil de l’intelligence était la main, et non la souris ! Pour cette praticienne, les récentes découvertes des neurosciences mettent en avant la nécessité de manipuler avec la main, des objets simples et concrets (Le matériel de vie pratique) pour comprendre et appréhender le monde et s’y adapter. Selon elle, les outils numériques offrent un niveau d’abstraction qui est jugé peu utile aux enfants de 3 à 6 ans.

Jusqu’ici (Montessori, 1949), nous avons su organiser notre environnement matériel. Le progrès technique a bien mis en marche une formidable « usine » qui attire les hommes, comme dit-elle, un aimant la limaille de fer. Ce progrès technique les a malheureusement broyés dans ses engrenages. Isolé de son plus proche voisin, de l’humanité, l’homme réagit à ses propres intérêts privés. L’humanité doit selon la pédagogue pouvoir reprendre le contrôle si nous ne voulons pas annoncer la disparition du genre humain. Nous y voilà, l’humanité doit pouvoir s’organiser pour éviter l’isolement des hommes, développer leur vie spirituelle et organiser cette humanité par la paix selon Montessori. C’est ici la tâche de l’éducation, faire confiance en la puissance de la nature humaine, s’ouvrir à la civilisation et œuvrer pour l’humanité. Nous devons croire en l’enfant pour Montessori comme à un messie, un sauveur capable de régénérer la race humaine et la société. Les adultes, les éducateurs doivent faire preuve d’humilité pour pouvoir cheminer aux côtés de l’enfant et croire ainsi au pouvoir de ce dernier qui nous guide vers l’espérance. En s’écartant de l’environnement naturel, l’enseignant s’est aussi éloigné d’un environnement adapté à l’enfant. Il a décuplé ses pouvoirs et a ainsi exercé son plein contrôle sur l’enfant. La personnalité des enfants est radicalement opposée à celles des adultes. L’enfant pour Montessori n’est pas un adulte en miniature, il est enfant, lui-même, avec les caractéristiques de sa nature qui font qu’il ne peut être l’autre, et que lui seul peut se réaliser et incarner sa personnalité humaine. La méthode proposée par Montessori amène l’enfant à maîtriser de façon progressive son corps, à se concentrer sur ses facultés, le préparant ainsi à une vie consciente. Par l’acquisition de connaissances et d’habitudes personnellement vécues, elle guide l’esprit dans les voies du savoir et de la sagesse (Montessori, 1956).

L’éducateur ne comprend pas l’enfant qui est présent sous ses yeux. Prend-t-il le temps de le découvrir, de l’observer, de le rejoindre dans son esprit, dans son corps, dans son cœur ? Les adultes pour Montessori luttent contre leurs enfants au lieu de les aider dans leur mission divine. Dans les écoles proposées par la pédagogue, elle a créé un milieu qui répond également aux besoins de développement spirituel. En observant les enfants à agir dans ce nouvel environnement, elle a noté leur amour passionné pour l’ordre et le travail. Elle témoigne également de capacités intellectuelles supérieures à celles qu’ils étaient censés avoir. Pour Montessori (Montessori, 1949), dans cet environnement l’enfant n’a pas recourt instinctivement à la dissimulation, il ne cache pas ses aptitudes, ses questionnements, ses incompréhensions, il ne cherche pas à répondre aux attentes de l’adulte. Il construit réellement à son rythme son autonomie. Pour les montessoriens rencontrés, les outils numériques donnent l’illusion à l’enfant d’agir avec facilité mais à l’inverse ils augmentent sa dépendance et entravent de façon irrémédiable ses capacités propres. A l’inverse, les ambiances Montessori, sans présence numérique, conditionnent la façon de penser notre présence à l’autre, au matériel, à soi, au monde, à la culture, à la nature…Car le propre de l’éducation montessorienne pour les montessoriens rencontrés, est d’éveiller, c’est-à-dire qu’elle veille à développer la condition de chaque personne au service de son humanité.

Actualisons ces idées. Le 16 mars 2020, les écoles, la société, françaises, comme tant d’autres dans le monde, se retrouvaient être mises à l’arrêt compte-tenu d’urgences sanitaires liées au développement de la Covid-19. Du jour au lendemain, au niveau éducatif, les écoles ont fermé, les parents ont été consignés à domicile, en télétravail pour une large majorité. Les enfants également contraints de rester eux aussi à la maison et de se conformer à un nouveau rythme de vie, à d’autres manières d’apprendre et d’interagir avec le monde extérieur (la famille, les camarades de classe…). Dès ce premier jour de confinement, les écoles Montessori comme les autres, ont dû relever un grand défi, celui d’adapter leur pédagogie à l’enseignement à distance. Aucune alternative n’était envisageable, il fallait poursuivre l’accompagnement des élèves sans ce lien physique, si précieux, sans échange spontané, ni observation en situations d’apprentissages. Un vrai pari pour ces équipes pédagogiques rencontrées, formées au suivi en live et individuel des enfants sur le terrain. Comment ont-ils réussi à garder l’essence de la philosophie Montessori tout en étant contraint de rester à distance ?

Se détacher de la technique et du matériel, pour se focaliser sur la philosophie et créer un nouvel environnement préparé, basé sur une observation attentive et à distance de chaque enfant, avec l’aide des parents. Pour certaines écoles, il s’est principalement agit de proposer aux parents du travail sur l’autonomie, la manipulation sensorielle et de ne pas laisser les enfants et les familles livrés à eux-mêmes, de les accompagner jusqu’au bout dans cette situation de crise, si anxiogène et déstabilisante, lorsque les repères bougent du jour au lendemain. Plusieurs enseignantes expliquent que la relation en binôme avec chaque enfant a permis de mesurer une nouvelle fois la qualité et l’importance de la relation individuelle construite en amont, permettant ainsi de poursuivre le travail adapté aux individualités et spécificités de chacun d’entre eux. Cette pédagogie qui déclare préparer les enfants à s’adapter, qui renforce leur autonomie et leur confiance en eux, a aussi été une force pour leur permettre de poursuivre leur développement sans venir à l’école. Ainsi, des enfants de 3 à 6 ans, qui ont acquis une capacité de concentration autonome, ont permis aux enseignantes de conduire à bien des échanges individuels sur des plateformes, sur des temps relativement longs et parfois même sans la présence d’un adulte à leur côté. Une autonomie qui a ainsi facilité l’accompagnement des apprentissages à distance. L’absence du milieu de vie sociale de l’enfant s’est fait sentir et, au cours des premières semaines, les enseignantes montessoriennes ont parfois pris l’initiative de réunir toute leur classe pour une séance à distance. Les enfants satisfaits de se retrouver ont alors découvert le plaisir d’une coopération virtuelle au service d’échanges sur leurs projets, leurs recherches, la manière dont ils avaient fabriqué eux-mêmes le matériel de la classe… Une vraie dynamique s’est très vite engagée. D’une manière générale, l’individualité, la concentration, l’écoute, l’adaptation, la création, valeurs chères à la célèbre pédagogue ont été un véritable atout. La valeur qui selon les enseignantes et directrices de ces écoles a vraiment traversé toute cette première période de confinement et certainement celles qui ont suivi, a été celle de la confiance de l’enfant. Notons que cette expérience nouvelle, de l’accompagnement à distance des enfants, aura permis d’innover en matière de communication avec les parents, et certains des outils qui ont été mis en place perdurent dans le temps, ils ont pu renforcer à long terme la coéducation et ainsi le lien entre l’école et la maison.

 

4. Revelons de défi!

Deux choses sont essentielles pour développer la paix dans le monde selon Montessori. La création d’un homme nouveau, l’avènement au fond d’un homme meilleur. La construction d’un environnement qui ne doit plus fixer les limites aux aspirations infinies de l’homme. Pour unir tous les hommes comme des frères, nous devrions démanteler toutes les barrières, en sorte que tous les êtres humains du monde entier soient comme des enfants jouant dans un même et vaste jardin. Cette conquête ouvre un horizon si vaste qu’elle nécessite la coopération de toute l’humanité, seul cet amour de l’humanité forgera vraiment l’unité humaine dans ce monde animé par cette conquête du plus, de l’infini, renforcée par l’avènement des nouvelles technologiques et de l’univers numérique. Une éducation intégrale, une éducation à la paix, ne saurait se réduire finalement à un enseignement donné dans les écoles. C’est une tâche qui demande des efforts de toute l’humanité. Son but n’est pas moins qu’une réforme universelle qui permettra le développement intérieur de la personne humaine, qui donnera à chacun une conscience plus claire de la mission de l’humanité et qui favorisera l’amélioration de la situation sociale. Ces objectifs s’imposent non seulement parce que l’homme reste largement ignorant de sa propre nature, mais encore parce que la plupart des gens ignorent tout, des mécanismes sociaux dont dépendent leurs propres intérêts, voire leur survie à court terme. Montessori (1956) définit sa méthode par la maîtrise progressive du corps et la concentration des facultés qui prépare l’enfant à une vie consciente ; par l’acquisition de connaissances et d’habitudes personnellement vécues, elle guide l’esprit dans les voies du savoir et de la sagesse. Aujourd’hui nous sommes quasiment toutes et tous en contact les uns avec les autres. Grâce aux outils numériques, l’information circule d’un bout à l’autre de notre planète, ne prenant plus en compte les frontières. Des entités partageant les mêmes idées se forment ici et là à travers le monde. Les outils numériques pour les montessoriens questionnés pour cette étude, conditionnent la façon de penser de l’homme. Les enfants peuvent avoir le sentiment de devenir les maîtres du monde ou au contraire se comparer aux autres et être désespérés ; devenir des influenceurs ou des soumis ; devenir des sur consommateurs avides, en pertes de repères par rapport au temps, à l’espace, à la vérité (fakenews) et devenir enfin des êtres désengagés déshumanisés (Le Mouillour, 2021).  Il s’agit de muter en devenant davantage humains, non par l’accomplissement de prouesses techniques, mais dans la mise en partage de nos existences, entre nous et avec le non-humain (Wallenhorst, 2020). Notre époque disait Montessori en 1949, traverse une phase d’ajustement à nos conditions matérielles d’existence qui se sont profondément transformées. Sommes – nous encore capables de maitriser notre environnement matériel tel que la célèbre pédagogue le réclamait dans la méthode qu’elle a pu défendre ? L’éducation, l’humanité sont au fond les meilleures armes pour la paix. Pour Montessori (1943) « l‘avenir de l’humanité dépend de notre courage et de notre persévérance à en faire usage ». Notre monde a été déchiré et il est besoin de le reconstruire, déclarait déjà Montessori dans son ouvrage intitulé Éducation pour un monde nouveau (Conférences données par Maria Montessori à New Delhi en Inde en 1943), et le premier facteur de cette reconstruction est l’éducation. Ajoutant dans ces propos introductifs, que les hommes ne sont pas suffisamment éduqués pour contrôler les événements, aussi en sont-ils devenus les premières victimes. L’éducation ne peut continuer à se restreindre à la simple transmission du savoir, elle doit s’engager au plus vite dans une nouvelle voie en s’adressant à celui qui seul peut nous guider vers un avenir plus lumineux, l’enfant. L’éducation, ajoute Montessori dans cet ouvrage, est un processus naturel qui se développe spontanément dans l’individu humain et s’acquiert, non en écoutant des mots, mais en faisant des expériences sur l’ambiance. Nous revenons ici sur le rôle essentiel du maître préparateur d’un laboratoire de pédagogie pratique. L’homme de demain pour Montessori doit avoir une vision claire pour diriger et modeler la société humaine qu’il laissera à ses propres enfants.

Pour penser l’homme de demain, la société humaine, Montessori nous rappelle par ailleurs que de tous les animaux, l’homme est le plus capable d’adaptation à n’importe quel climat. Il est capable d’une grande variété de mouvements que nul autre animal n’a jamais été capable de faire. Une liberté de mouvements qu’il convient d’éduquer dès sa naissance, étant entendu que la période de l’enfance semble être réservée à ce travail d’adaptation à l’environnement. Pour Montessori, cet être qui est né impuissant, incapable de mouvement, doit être doté d’un comportement qui le conduit vers le mouvement. Au préalable, il lui faut développer ses facultés psychiques et ce, en accord avec l’environnement et les conditions changeantes d’une société humaine en évolution. L’intelligence de l’enfant doit donc ainsi commencer par observer et étudier cet environnement avant de se mettre à construire ses organes particuliers. La première période de développement est alors réservée chez Montessori à stocker des impressions en provenance de l’ambiance dans laquelle l’enfant est plongé. Le comportement humain, les pouvoirs de l’homme doivent trouver leur expression dans la mise en relation, la mise en mouvement du corps et de l’esprit. Nous ne pouvons séparer ce que la nature a uni. La vie physique et la vie mentale sont interdépendantes l’une de l’autre. Tous les hommes ajoute Montessori font la même chose avec leurs pieds, mais pas avec leurs mains, mains dont personne ne connaît les limites d’activité. L’homme pense et agit avec ses mains et depuis les temps les plus anciens, il a laissé et laisse encore des traces de son travail, plus ou moins grossières ou raffinées. C’est parce que les mains ont accompagné l’intelligence que la civilisation s’est bâtie, aussi peut-on bien dire que la main est l’organe par lequel cet immense trésor a été donné à l’homme. Quelle place, quelle liberté, avons-nous donné à ces mouvements, à ces mains dans l’éducation des enfants appelés à devenir des adultes responsables et solidaires ? Comment alors s’attendre à ce qu’ils puissent assumer leurs droits inhérents à cette liberté d’expression et à s’en servir ?  Pour Montessori dès 1948 les élèves Montessori de douze ans sont fin prêts à se lancer dans l’aventure de la vie, habitués qu’ils sont à exercer librement leur volonté et leur esprit critique, guidés par l’imagination et l’enthousiasme. Seuls de tels élèves selon la pédagogue peuvent remplir pleinement leur devoir de citoyens dans une communauté civile. Le secret de la réussite pour Montessori réside en la capacité du maître, de l’environnement préparé à savoir stimuler avec intelligence, l’imagination de l’enfant pour ensuite éveiller l’intérêt dans son esprit, y faire germer les graines qui y auront été semées, toujours en relation avec une source d’inspiration centrale, le plan cosmique, dans lequel tout élément, consciemment ou inconsciemment, contribue au grand objectif de la vie. Pour la pédagogue, l’éducation doit questionner la position de l’homme dans le cosmos et dans la société. Présentée pour la première fois en Angleterre en 1935, l’éducation cosmique de Montessori (2003), est le seul chemin sur lequel nous pouvons avancer de manière fiable dans nos recherches pédagogiques. Dès six ans, le développement de la conscience est considérable et celle-ci, si elle s’était éveillée auparavant, se tourne maintenant en particulier vers l’extérieur. L’enfant demande plus que jamais à saisir le sens intelligible des choses. Il convient donc de semer le plus de graines possibles, en lui proposant d’investir le champ immense de la culture, en suscitant chez lui autant de centres d’intérêt que possible. Articuler à cette ouverture culturelle sur l’histoire merveilleuse de la terre, de la vie et celle de l’humanité, l’enfant explore dans le même mouvement, l’univers moral et son envie de distinguer le Bien du Mal. Ce dernier souhaite désormais comprendre seul, sans être contraint d’absorber passivement les impressions, ni de constater des faits. Il souhaite pouvoir affirmer son propre jugement. Enfin, troisième idée intéressante, l’enfant de cet âge exprime un nouveau besoin, celui de rejoindre un collectif et d’y être associé. Toutes les ouvertures culturelles sur le cosmos et la société dans ce cosmos permettront à l’enfant d’élargir sa conception et ses idées sur le monde. Enseignant et élève marcheront ensemble sur ce chemin de la vie, car toutes les choses font partie de l’univers et sont reliées entre elles pour former un tout unique, ils tenteront d’identifier des éléments de réponse à ces interrogations : Qui suis-je ? Quel est le rôle de l’homme dans cet univers merveilleux ? Vivons-nous seulement pour nous-mêmes ou avons-nous une tâche plus élevée ? Pourquoi lutter et se battre ?

Au cours des conférences sur le plan cosmique qui se sont tenues en Inde en 1943, Montessori annonce que l’humanité elle-même n’est autre qu’un ensemble organique qui est en train de naître. Comme les organes du corps, les différentes civilisations se sont d’abord développées séparément pour se renforcer avant d’entrer dans un second temps en relation, pour penser l’organisation de la communication entre les hommes. Dans ce sens, la cruauté et l’exploitation humaine, les guerres et toute autre forme de violence, selon Montessori, ont pu mettre en lumière l’incompréhension, la non prise de conscience chez les hommes de leur humanité commune. Une œuvre à accomplir ensemble pour la réalisation d’un destin cosmique partagé. Les forces qui bouleversent le monde actuel selon Montessori, en 1943, exigent que nous prenions en compte l’unité de l’humanité avec la plus grande urgence. L’œuvre de l’enseignant, qui n’agirait ni comme un tyran ni comme un missionnaire, mais comme un guide essentiel des nouvelles générations semble dès lors s’imposer. Par l’éducation des enfants, des hommes de demain, se mobiliser pour la vie et non pour la mort de ces derniers. Parce que notre société a mis en danger la survie de notre planète, et peut-être de l’univers entier par son mépris des lois naturelles, la conception de Montessori de la nature est d’un grand intérêt pour nos contemporains. Le lien réciproque entre l’homme et la nature est d’ordre physique et spirituel (Polk Lillard, 1984). Montessori déclarait dans L’enfant (1936), « A notre époque et dans l’ambiance civilisée de notre société, les enfants sont élevés à l’écart de la nature et n’entretiennent pas avec elle, des relations directes et intimes…nous nous sommes constitués volontairement prisonniers et nous avons fini par aimer notre geôle au point d’y enfermer nos propres enfants ».  Les enseignants chez Montessori se voient confier des pouvoirs immenses auxquels ils ne peuvent se soustraire.

 

5. L’envoi

En écho à Montessori, Wallenhorst (2019) pointe l’une des importantes caractéristiques de nos sociétés contemporaines, à savoir que la vitesse et la gestion de l’urgence semblent parfois plus valorisées que la durée. En pensant maîtriser le temps avec les outils numériques d’aujourd’hui, ils en deviennent finalement plus que jamais dépendants. Les politiques notamment éducatives consacrent actuellement plus de temps, d’énergie à réagir aux événements plutôt que de préparer un avenir qui devient de plus en plus difficile à anticiper. La gestion de la crise du Covid 19 que nous traversons en est un bon exemple, un bon exercice de pédagogie pratique. Et pourtant, l’avenir est bien ce qui détermine le politique, il est l’un des enjeux majeurs de la responsabilité en politique. Avec l’entrée en Anthropocène, certains fondements problématiques de notre civilisation se trouvent questionnés. Une nouvelle responsabilité universelle s’impose à nous, étonnement après avoir connu trois siècles marqués par l’abondance, l’accélération, nous entrons par force dans une période marquée par l’incertitude et une diminution de nos capacités d’action (Bourg, 2013). Nous entrons dans une période qui sera davantage marquée par l’incertitude, la finitude et qui nous conduira à nous unir, à nous soutenir, pour faire face à la chute de nos organisations économiques, sociales, culturelles. Il est peut-être temps d’interroger comment à l’ère du numérique dans nos institutions éducatives nous pouvons penser et construire ensemble, responsables politiques, enfants et éducateurs, des connaissances sur l’homme et l’humanité au service d’un avenir responsable et solidaire. L’enfant est peut-être celui que nous devrions commencer comme le disait Montessori, à observer, à écouter, à suivre…

 

Bibliographie

Baumann, Z. (2007) La décadence des intellectuels. Des législateurs aux interprètes. Éditions Jacqueline Chambon.

Bourg, D. (2013) Peut-on encore parler de crise écologique ? In Revue d’éthique et de théologie morale. Hors-série. N° 276, p. 61-71.

Le Mouillour, S. (2021) On line with Montessori : Se reconnecter avec le paradigme Montessori à l’ère du numérique. In Présence et numérique en Éducation. Edition Le Bord de l’eau. (À paraître)

Love, A., Sikorski, P. (2000) Integrating technology in a Montessori classroom. ERIC.

Montessori, M. (1936) L’enfant. Paris. Desclée de Brouwer.

Montessori, M. (2010) Éducation pour un monde nouveau. Titre original : Éducation for a new world – Conférences données par Maria Montessori à New Delhi en 1943 – Paris. Éditions Desclée de Brouwer.

Montessori, M. (1949) L’éducation et la paix. Paris. Desclée de Brouwer.

Montessori, M. (1956) L’éducation religieuse, la vie en Jésus Christ – Traduit par Georgette, J.

Montessori, M. (2003) Éduquer le potentiel humain. Titre original : To educate the human potential (1948). Paris. Desclée de Brouwer.

Morin, E. (2004) Éthique. La méthode 6. Seuil.

Morin, E. (2020) « Nous avons un destin, commun, le virus l’a rappelé ». Journal Ouest France du 18 et 19 juillet.

Polk Lillard, P. (1984) Pourquoi Montessori, aujourd’hui ? Paris. Desclée de Brouwer.

Postman, N. (1992) Technopoly : the surrender of culture to technology. New York. Vintage Books.

Serre, M. (2012) Petite Poucette. Paris. Éditions Le Pommier.

Wallenhorst, N. (2019) L’anthropocène décodé pour les humains. Paris. Éditions Essai Le Pommier.

Wallenhorst, N. (2020) La vérité sur l’anthropocène. Paris. Éditions Le Pommier.

https://www.education.gouv.fr/le-parcours-citoyen-5993

https://www.education.gouv.fr/bo/17/Hebdo10/MENE1707568C.htm

https://www.education.gouv.fr/IGEN-Rapport-2017-056-Repenser-forme-scolaire-numerique-nouvelles-manieres-apprendre-enseigner_849551.pd